LE PLAN HYDROLOGIQUE NATIONAL ESPAGNOL

 

  • GESTION DE L'EAU EN ESPAGNE

INTERVIEW DE PEDRO ARROJO
dans le Bulletin de liaison de la "Plataforma en Defensa de l'Ebre"
"LO RIU" juin 2001

 

" GESTION DE L'EAU COMPAREE EN ESPAGNE ET CALIFORNIE "

Traduction ERN

Pedro Arrojo est docteur en sciences physiques. Il est également professeur du Département d'Analyses Economiques de l'Université de Saragosse. Centrant ses travaux d'études et de recherche sur l'économie des ressources naturelles, il est aujourd'hui un des rares spécialistes universitaires en matière de gestion de l'eau dans le cadre des sciences économiques. Il a publié des articles et des travaux dans lesquels il compare la réalité des relations avec l'eau de la Californie et de l'Espagne.

- Pouvez-vous nous expliquer les similitudes et les différences hydrologiques entre la Californie et l'Etat espagnol ?

- En fait, la Californie et l'Espagne ont de nombreuses analogies significatives, tant sur les aspects climatiques que dans leur histoire en matière hydrologique, et ce, durant une grande partie du XXe siècle. Elles ont une superficie équivalente, avec un climat à prédominance méditerranéen sur la majeure partie du territoire, même si le nord est plus humide. La moyenne pluviométrique est un peu supérieure en Espagne, 672 l/m², contre 584 l/m² en Californie, ce qui donne un débit total renouvelable légèrement supérieur en Espagne : 104 805 hm3/an contre 95 405 hm3/an en Californie (en incluant les grandes retenues du Colorado). Dans les deux cas, 80% sont accaparés par l'irrigation, laissant 20% pour les utilisations urbaines et industrielles.
Toujours dans les similitudes, le parallèle dans les stratégies de gestion de l'eau, durant une grande partie du XXe siècle, a amené ces territoires à détenir la proportion de barrages par habitant et par km² la plus élevée au niveau mondial. En Californie, il existe quelques 1 400 grands barrages qui stockent environ 52 500 hm3, tandis qu'en Espagne, près de 1 200 barrages totalisent une capacité de 51 300 hm3.

La principale différence réside dans le formidable déséquilibre de peuplement que crée en Californie l'hyperpopulation de la région de Los Angeles-San Diego, avec plus de 50 % des habitants et seulement 20 % des ressources hydriques renouvelables. Ceci entraîne une situation territoriale plus tendue et "non-durable" que celle existant en Espagne.
Cette différence fait que, à partir d'un même scénario climatique, la Californie continuera son chemin plus rapidement, en bien ou en mal, et cela nous permet aujourd'hui d'apprendre d'elle dans une perspective critique.

- La Californie a modifié sa politique hydrologique. Quels changements et pourquoi ?

- Les changements ne se produisent pas seulement en Californie, mais aussi dans l'ensemble des Etats-Unis. A la fin des années 60, il s'est amorcé un mouvement critique qui portait sur les grands projets hydrauliques (localisés principalement dans les Etats de l'Ouest) et qui se basait sur des raisons économiques. La subvention publique attribuée systématiquement pour les grands barrages et transferts d'eau avait développé des processus de corruption administrative au bénéfice des grandes compagnies d'électricité et de construction. C'est ainsi que fut popularisée l'expression "Pork Barrel" ("le tonneau des cochons", cf. n'importe quel dictionnaire d'anglais nord-américain, comme le Webster), pour définir la répartition des fonds publics qui finançaient ces ouvrages. Dans les années 70, grandit d'autre part la conscience environnementaliste américaine, encerclant ainsi d'une critique tenace, à la fois économique et écologiste, cette logique structurée sur la subvention publique.
En 1978, le Président Carter, vota dans la Hit List la dernière vague de barrages et de transferts d'eau qui fut approuvée par le Capitole, en-dessous de la majorité établie publiquement, à coups de chéquiers des lobbies de l'hydroélectrique et du béton (aux USA, l'action des lobbies est légale, mais doit être publique).
Depuis, un consensus général s'est installé, basé sur la gestion de la demande (économie et efficacité) et la conservation des écosystèmes hydriques : rivières, zones humides et aquifères.
Dans cette nouvelle optique, les dernières rivières et les tronçons encore conservés, en particulier dans les zones en tête de bassin (régions de montagne), réussiront à être protégés en tant que "rivières pittoresques et sauvages", grâce à une loi spécifique (Wild and Scenic River Act), tandis que les deltas et estuaires seront le terrain d'application des plus exigeants paramètres de durabilité.
En 1978, avant l'élévation de salinité observée dans le delta de San Francisco comme conséquence des captations massives d'eau avant l'embouchure, l'Administration elle-même imposa la "Décision 1485", qui réduisait les concessions de 10% jusqu'à ce que "... la qualité de l'eau du delta soit au moins aussi bonne qu'elle le serait s'il n'y avait pas de dérivations massives...". Après de multiples recours en justice, le Tribunal Suprême des Etats-Unis a ratifié cette décision qui est toujours en vigueur. Vingt ans après, et suite à l'objectif de récupération du delta grâce à la planification californienne de ces dernières décennies, le but fixé a été obtenu.

- En quoi les expériences californiennes et espagnoles sont-elles liées ?

L'Espagne reproduit depuis 1994 le débat qui a eut lieu aux USA, et particulièrement en Californie, entre la fin des années 60 et le début des années 80. Depuis ces dates, il ne s'est construit en Californie pas une seule retenue, ni ne s'est réalisé aucun de ces transferts annoncés dans les années 70 comme imminents. Ne sont prévus pour l'avenir que deux nouveaux barrages d'envergure, dont la construction, soumise à de fortes contreverses, est en fait incertaine. Par contre, les plans de modernisation, de gestion de la demande et d'économie, génèrent d'importantes marges de manoeuvre compatibles avec le développement accéléré de la bouillante économie californienne, et ceci pour les 2 prochaines décennies.
Face à cette réalité, le PHN, avec ses 120 grands barrages et les grands transferts de l'Ebre, offre un exemple ridicule en complète contradiction avec les défis, les connaissances et les tendances d'une gestion hydrologique moderne.

- Le PHN est-il compatible avec la prétention de prendre modèle sur la Californie, comme dit vouloir le faire le conseiller Puig ?

- Je ne connais pas ce que le conseiller Puig présente concrètement comme s'appuyant sur l'exemple californien, mais ce que je peux affirmer est que le mode actuel de gestion en Californie est radicalement différent de celui qui inspire le PHN. Peut-être le conseiller voit-il dans les grands transferts d'eau, du Colorado jusqu'à la zone de Los Angeles, un exemple à suivre. Si c'est le cas, quelqu'un devrait lui expliquer qu'aujourd'hui ces grands ouvrages du passé sont considérés comme d'énormes erreurs qu'il ne faut plus commettre. Peu de gens défendraient maintenant aux Etats-Unis ces barrages s'il n'avaient pas été déjà réalisés. Aujourd'hui en Californie, et dans l'ensemble du pays, on a compris les terribles impacts que ces ouvrages ont fait subir aux deltas et aux estuaires (dans le cas du Colorado, il faut ajouter à la ruine du delta et de sa plaine, celle des pêcheries de la Mer dite de Cortès), à la santé des rivières, à la qualité de vie de la société et également à l'économie globale du pays.

Voici comme référence une partie du discours prononcé devant la Commission Mondiale des Grands Barrages à Durban (Afrique du Sud) au début des années 90, par M. Daniel P. BEARD, directeur du Bureau des Réclamations, sans doute la plus prestigieuse des institutions de l'eau nord-américaine, justement responsable de la construction de ces grands ouvrages hydrauliques en Californie et le reste des USA :

"Le Bureau des Réclamations des Etats-Unis (BREU) fut créé comme organisme de construction d'ouvrages publics hydrauliques. Les résultats de notre travail sont bien connus : les barrages Hoover, Glen Canyon, Grand Coulee, et d'autres, furent des réalisations monumentales qui sont des motifs d'orgueil pour notre pays et nos employés. Cependant, ces 2 dernières années, nous sommes arrivés à la conclusion que nous devons modifier de façon significative le programme du Bureau.
Une des hypothèses de notre programme était que les coûts des projets soient remboursés. Maintenant, nous nous sommes rendus compte que les coûts de construction et d'activité des projets de grande envergure ne peuvent être récupérés... Avec le temps, notre expérience pratique nous a donné une appréciation plus précise sur les impacts environnementaux des projets de cette taille que nous développons. Nous avons été lents à reconnaître ces problèmes et nous en sommes encore à apprendre à quel point ils sont redoutables et comment les corriger.
De même, nous avons pris en compte qu'il existe différentes solutions alternatives pour les problèmes d'utilisation de l'eau, qui n'impliquent pas nécessairement la construction de retenues. Les alternatives non structurelles sont souvent moins coûteuses à mener à terme et ont un impact environnemental moindre... Le résultat est que l'ère de construction des barrages aux Etats-Unis a touché à sa fin..." (D. P. BEARD - 94)


(Cette traduction ERN n'a pas valeur de document officiel
et ne saurait engager notre responsabilité de quelque manière que ce soit.)

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