Le projet de transfert Rhône-Barcelone

 

Le projet de transvasement du Rhône à Barcelone est promu depuis 1995 par la compagnie française BRL (Société mixte d'aménagement du Bas-Rhône et du Languedoc) qui possède jusqu'en 2056 une concession de l'Etat français sur un droit d'eau du Rhône. Il prévoit la construction d'une canalisation enterrée de 330 kms, destinée à transférer 15 m3/sec
(1 300 000 m3/jour) d'Arles à Barcelone.

Contenu :

(Tamben un sumari en version catalana)

 

Le contexte et une critique du projet par ERN
(European Rivers Network)

Ce projet de transvasement est techniquement réalisable. Il est justifié par ses concepteurs et ses promoteurs par des raisons de solidarité envers la population espagnole, entretenant le mythe d'une Espagne "assoiffée", peu ou mal équipée pour répondre à ses besoins en eau.

L'Espagne est pourtant le pays au monde qui possède le plus de barrages par km2 et par habitant.

Ce projet de transvasement se caractérise par une abscence de réflexion de fond sur le mode de développement économique et d'aménagement du territoire. Ainsi, l'incitation au "toujours plus d'eau consommée" et aux grands travaux conçus comme des fins en soi semble constituer la philosophie majeure du projet.

Les besoins en eau de Barcelone ne sont pas aussi évidents et urgents que le déclarent les autorités centrales espagnoles. Les études du Plan Hydrologique National (PHN) prévoient une augmentation exagérée de la population urbaine et périphérique de Barcelone pour les prochaines années, ce qui ne corrrespond pas à la réalité des tendances actuelles. On assiste en fait à une situation de quasi-stagnation de la population. L'Institut Statistiques de Catalogne prévoit une très faible croissance sur toute la zone urbanisée de Barcelone. Le maire de cette ville, en visite à Tortosa (Delta de l'Ebre) lors d'un meeting de la P.D.E. (Plateforme de Défense de l'Ebre) le 26 août 2002, a d'ailleurs déclaré publiquement que sa ville n'avait pas besoin d'eau et qu'elle en consomme de moins en moins à mesure que sa perception de la gestion de l'eau se modernise.

D'autre part, une évaluation récente indique que le niveau des fuites dans le réseau est de l'ordre de 25 %, sans compter les 12 millions de m3 annuels provenant des nappes phréatiques, qui sont pompés dans le métro barcelonais pour éviter son inondation et qui sont rejetés à la mer… Dépolluer la nappe phréatique de Barcelone sera rendu obligatoire par la Directive Cadre Eau européenne lors de son entrée en vigueur en 2004. Pourquoi ne pas planifier sur 20 ou 25 ans cette tâche, certes coûteuse, mais bénéfique sur tant de points à long terme et l'entreprendre dès maintenant ?

La Catalogne a un problème de qualité et de gestion de ses ressources hydriques,
pas un problème de quantité.

A moins de choisir délibéremment un développement urbain sans frein, à la mode "californienne", avide de ressources, sans modération ni gestion durable, il faut se poser pour Barcelone, comme pour toute autre métropole, la question du modèle de développement (en tenant compte de son adéquation avec le climat local et des changements climatiques en cours).


Augmenter l'offre d'eau, sans s'interroger sur les conditions d'utilisation
de cette ressource, est une aberration à l'heure d'une gestion durable.

Le professeur Pedro Arrojo, de l'université de Saragosse, explique : "La facture des travaux serait sans doute payée, en bonne part, par la Communauté européenne et les autorités publiques. Et pourquoi ? Pas parce que le citoyen normal nécessite de l'eau, il n'en manque pas. Mais peut-être pour alimenter plus de toilettes d'hôtels de la Costa Brava et de parcours de golf. En d'autres termes, il ne s'agirait pas de solidarité européenne, mais d'argent public au service de spéculateurs privés."

L'eau du Rhône qui serait transvasée en Catalogne le serait pour ses "clients" privés habituels :
l'agriculture productiviste et le tourisme de masse,
exacerbant les pressions sur les milieux naturels
et renforçant une concurrence inutile
avec les mêmes secteurs économiques, côté français.

De plus, le danger de ce projet est de créer un précédent dans le transfert d'eau entre pays, entérinant
une logique de "marchandisation" de l'eau au niveau international
.

Aujourd'hui, le projet n'a pas d'existence officielle. Le ministère de l'environnement français n'a pas reçu de demande officielle du gouvernement espagnol. Et ce genre de projet ne peut être lancé que suite à un accord intergouvernemental.

Jusqu'à présent le gouvernement central espagnol refusait d'être dépendant d'un pays étranger pour son approvisionnement en eau. Il s'opposait alors au gouvernement Catalan, dirigé par la formation politique de Jordi Pujol (CIU Convergencia Y Union) favorable au transfert du Rhône. En effet, si la loi du PHN (Plan Hydrologique National) est appliquée, les dirigeants Catalans considèrent que leur province subira une perte en eau très importante lors du transvasement du fleuve Ebro en direction du Sud-Est de l'Espagne. Ils ont doonc négocié leur accord au PHN à la condition de recevoir, en compensation de l'eau déviée de l'Ebre, celle du Rhône. Très récemment, un accord politique a été conclu entre le gouvernement central de M. Aznar et le gouvernement catalan de M. Jordi Pujol. La demande officielle de l'Espagne auprès de la France pour ce transfert semble désormais très proche.

Voir aussi nos pages sur le "Plan Hydrologique National (P.H.N.)" de l'Espagne

 

Utilité du projet ?

Par Michel Drain / Professeur à la Faculté des Sciences Humaines de Luminy (Marseille)

1- Ce transfert à caractère international, présenté comme un acte de solidarité européenne (ce qui permettrait d'obtenir des aides de la CE) serait en fait le premier maillon d'un réseau européen de l'eau. Cela fut publiquement présenté ainsi au Parlement européen et le conseil d'Etat français, en 1997, a considéré le projet comme d'utilité publique en s'appuyant sur l'article XII du traité de Rome concernant les réseaux européens (oléoducs, gazoducs, voies de circulation, etc). Ceci inscrit ce projet comme une étape vers la marchandisation de l'eau et ultime sursaut de la politique de gestion de l'eau par l'offre.

2- L'attribution d'une concession de prélèvement de 75 m3/s en amont du delta du Rhône par l'Etat et pour 85 ans à la BRL concernait une société d'aménagement régional semi-publique devenue depuis une holding dont la principale société filiale, BRL exploitation, a la SAUR (*) parmi ses actionnaires pour 49 % des capitaux.

3- Le problème de l'eau à Barcelone concerne plutôt la qualité de l'eau brute provenant essentiellement des deux fleuves côtiers Ter et Llobregat (d'où l'intitulé du producteur d'eau ATLL : eaux du Ter et du Llobregat). L'eau du Llobregat est particulièrement polluée et...salée, le cours d'eau traversant en amont un pli diapir et des usines de sel de potasse abandonnées. La prochaine norme européenne en la matière fera d'une eau aujourd'hui déclarée potable une eau qui ne le sera plus. Il serait alors nécessaire d'avoir recours aux procédés d'épuration membranaires très coûteux. Recevoir l'eau brute du Rhône (avec une petite subvention à la clef) peut revenir meilleur marché.

4- La pénurie d'eau en volume à moyen terme se fonde sur une augmentation de la population or l'Espagne a un des plus bas taux de natalité du monde. On constate par ailleurs, dans toutes les villes des pays développés, une diminution de la consommation d'eau potable. S'il se produisait une pénurie durant quelques jours en été, elle pourrait être aisément combattue par le recours à l'eau du barrage de Rialp, à une centaine de km de la station d'Abrera. Cette éventualité a toujours été soigneusement écartée (et le conseil scientifique d'ATLL avait l'ordre de ne pas l'aborder) parce que l'eau de ce barrage récemment achevé est réservée à l'extension de l'irrigation dans la région de Lérida (de grand intérêt électoral pour Jordi Pujol, Président du gouvernement Catalan) avec l'aménagement discret du canal Segarra Garrigues. Etablir le transfert d'eau du Rhône reviendrait ainsi à encourager la politique de gestion de l'eau par l'offre dont l'Espagne s'est faite le champion.

(*) : SAUR filiale eau du goupe BOUYGUES, un leader mondial de la construction et du béton.

 

La B.R.L.

Cette société d'aménagement et d'exploitation du Bas-Rhône et du Languedoc est mixte : la maitrise des ouvrages est du domaine public (collectivités locales, Régions, Départements), leur exploitation est privée.

La B.R.L. possède 4 filiales :

La BRL Ingéniérie, la BRL Exploitation, la BRL Espaces Naturels et la SEPA LRC (Languedoc Roussillon Catalogne) responsable du projet de l'Aqueduc.

Le capital de la BRL Exploitation, filiale dédiée au très profitable "commerce de l'eau", est composé à 51% de la BRL maison mère (dont 36% du capital sont du domaine privé) et à 49% de la société SAUR (filiale "eau" de Bouygues, leader mondial de la construction et du béton).

Le capital de la SEPA LRC est composé à 51% de la BRL maison mère, et les 49% restant sont partagés entre des sociétés comme Pont à Mousson, Spie Batignoles, Suez, Saur, Cie Générale des Eaux, Alsthom etc...

Cf. : www.brl.fr

 

Données techniques

Les chiffres

Longueur : 330 km de long (200 km en France, 130 en Espagne)
Débit : 15 m3/sec (1 300 000 m3/jour)
Tunnel de 4 km sous le Perthus
Canalisations de 2,80m de diamètre
5 ou 6 unités de pompage
Consommation d'électricité : 700 millions de kilowatts heures /an
Coût estimé du transfert : 4 F/m3

Profil en long Montpellier Barcelone (document BRL)



Documentation scientifique publiée sur le sujet

- "Régulation de l'eau en milieu méditerranéen risques et tensions", Territoires en mutation, Revue Montpellier.N°3, mars 1998, 262 pages.

-"Changements agraires et mutations socio-spatiales dans la péninsule Ibérique depuis l945".
Sud-Ouest Européen N°5, Toulouse 1999, p.47 à 59.

-"L'évolution de la régulation de l'eau en Espagne", in Cultures, usages et stratégies de l'eau en Méditerranée Occidentale sous la direction de M.Marié, L'Harmattan, pp.47 à 57, Paris 1999.

-"Planificación de las aguas peninsulares a escala europea", in ler congreso ibérico sobre planificación y gestion de aguas, Zaragoza, 1998, Zaragoza 1999, pp.847-855.

-" L'aqueduc Rhône-Barcelone et la politique européenne de l'eau" , Colloque Hydropôle,Marseille l999, pages 213 à 221 et 2 croquis.

-"Les enjeux de l'eau dans les montagnes de la Péninsule Ibérique", in "Moyennes montagnes européennes", Céramac, Clermont-Ferrand 1999, p.359-372.

-" EAU, Europe méditerranéenne", Dictionnaire de l'Ecologie, Enc.Univ.Albin Michel, Paris 1999, pp.366 à 373.

- "Changements agraires et mutations socio-spatiales dans la péninsule Ibérique" in Enquêtes Rurales N°7, in Enquêtes Rurales N°7, Caen 2000, pp.35 à 56.

-" Le projet d'aqueduc du Rhône à Barcelone", Revue de l'Economie Méridionale, N°spécial Multi-usages et gestion de l'eau en Méditerranée, CRPEE, Montpellier 2001 pp.371 à 381.

-"El proyecto de trasvase del Ródano a Barcelona", Primeras jornadas catalanas por una nueva cultura del agua, Barcelona, febrero 2001
.
-"L'évolution des politiques de l'eau dans la Péninsule Ibérique" , in recueil des conférences du colloque scientifique et technique HYDROTOP 2001, Marseille 2001, C OO8-1 à C 008 7.



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