Le projet de transfert Rhône-Barcelone

Article dans El Mundo (de Catalogne)

02.12.02.


POLITIQUE : LE PROJET PREND COMME REFERENCE LA CALIFORNIE
SANS TENIR COMPTE DU CLIMAT LOCAL

De hauts fonctionnaires français jugent le transvasement du Rhône
comme inutile et non viable
Ils estiment que le Gouvernement Catalan n'utilise pas d'autres sources d'approvisionnement, comme le barrage de Rialb, pour des raisons électoralistes

MANEL MANCHON

BARCELONE - Corruption intellectuelle, incompétence et aveuglement. Voici quelques qualificatifs que des hauts fonctionnaires et experts français décernent aux politiques catalans et espagnols qui continuent à parier sur les transvasements pour solutionner des problèmes d'approvisionnement en eau, qui, en réalité, n'existent pas. Tous les chercheurs consultés jugent comme "inutile et non viable" le transfert du Rhône que réclame le Gouvernement de la Generalitat.

En France, toute décision du Gouvernement concernant d'importantes infrastructures doit passer par la Commission de Débat Public, dans laquelle se trouvent d'importants chercheurs et experts. Michel Drain, chercheur émérite de l'Université de Marseille et ex-membre du Conseil Scientifique de la BRL, l'entreprise française intéressée par la vente de l'eau du Rhône, considère qu'il n'y a "aucune nécessité" pour mettre en marche un projet digne des siècles passés.

Le Conseiller en Chef Artur Mas a présenté, il y a quelques semaines, le projet de transfert du Rhône, qui coûterait 4 761 milllions d'euros, mille de plus que celui de l'Ebre, tout en avertissant le gouvernement espagnol que ce projet sera une exigence absolue de son parti CIU (Convergencia Y Unio), s'il a besoin un jour de ses votes. Il l'a présenté comme un complément du PHN, en assurant que le transvasement de l'Ebre ne garantit pas la fourniture d'eau durant les 12 mois de l'année. A. Mas a admis que le transfert du Rhône implique, premièrement, que le Gouvernement espagnol l'accepte et, deuxièmement, que celui-ci le demande auprès du Gouvernement français.

Roberto Epple, directeur-fondateur de European Rivers Network (ERN), un réseau implanté dans toute l'Europe, insiste sur le fait que le problème est la faillite d'un modèle de développement. Il affirme que les autorités espagnoles et catalanes prennent comme référence la Californie, sans tenir compte des nécessités réelles et du climat local.

Le germe de la globalisation de l'eau

La consommation d'eau est très inégale en Catalogne. Les données des différents chercheurs français ainsi que des collectifs en Catalogne, comme Ecologistes en action, les membres de la Plateforme d'Opposition aux Transvasements (POT), montrent qu'il n'y aura pas d'augmentation de la consommation dans les prochaines années. Ce qui est en train de se produire, assurent-ils, c'est que si l'on offre plus d'eau, on finira par en consommer plus. Il s'agit d'une politique d'offre, mais qui ne répond pas à une véritable nécessité ni à un manque d'eau.

Ainsi, dans des municipalités comme Badalona ou el Prat, dans la zone métropolitaine, la consommation s'élève à 114 litres d'eau par habitant et par jour. Ce chiffre explose dans les régions, dans el Vallès, avec 220 litres, ou dans el Garraf, avec 361. Roberto Epple, de European Rivers Network, maintient que ceci est la première fraude. "Avec le transvasement du Rhône, il s'agit d'offrir de l'eau pour forcer à en consommer plus, au bénéfice des entreprises privées".
Epple fait référence à d'autres études d'experts espagnols, comme celles de Pedro Arrojo, de l'Université de Saragosse. Arrojo soutient que la possible aide de l'Union Européenne ne pourrait être considérée comme une "solidarité européenne", mais plutôt comme l'utilisation de "ressources publiques au service de spéculateurs privés".
L'association catalane Ecologistes en Action insiste sur le fait que la consommation d'ordre privé est plus élevée hors de la zone urbaine car il existe un modèle social qui désire copier des schémas de développement situés dans d'autres endroits de la planète et qui ne sont pas propres à l'arc Méditerranéen. La responsable des projets hydrauliques, Maria Lloberes, met le doigt sur la nécessité de mettre à profit l'eau des nappes phréatiques et des stations d'épuration. " Les bassins récepteurs, du point de vue écologique, subiraient un déséquilibre avec les transvasements, mis à part le fait que l'eau du Rhône, selon diverses études, ne soit pas de bonne qualité car on y a trouvé des restes de plomb, de cuivre et de chrome. De plus, au cas où les transvasements seraient réalisés, on ne pourrait plus mettre à profit les aquifères".
Une autre information, apportée par Ecologistes en Action, est que les stations d'épuration recueillent jusqu'à 500 hm3, dont seulement 6 sont réutilisés.
Le conseiller en chef, Artur Mas, a visité récemment les Terres de l'Ebre pour convaincre les membres de la Plateforme de Défense de l'Ebre, animée par Manolo Tomàs, que la solution passe par le transvasement du Rhône. Mais le mouvement contre le transvasement de l'Ebre s'est amplifié. Il s'agit d'engendrer une "nouvelle culture de l'eau". C'est pour cela que s'est constituée la Xarxa per una Nova Cultura de l'Aigua (le Réseau pour une Nouvelle Culture de l'Eau) qui se base sur trois axes : le manque de rigueur pour établir dans le PHN un déficit de 300 hm3 par an pour les vallées internes de Catalogne ; la mauvaise qualité des eaux de l'Ebre et du Rhône et l'augmentation du prix de l'eau.

D'autre part, le Conseiller de l'Environnement, Ramon Espadaler, expliquera mercredi au Parlement le transfert du Rhône.

Une opération redondante pour la B.R.L.

Le projet de transfert de l'eau du Rhône, qui arriverait jusqu'à Cardedeu, fit son apparition en 1994 lors de sa proposition par un ingénieur de Agbar (Aguas de Barcelona), juste au moment où se discutait l'avant-projet du ministre socialiste Josep Borrell, qui prévoyait de recourrir à l'eau de l'Ebre pour les bassins internes (de Catalogne).
C'était alors une question entre entreprises productrices d'eau. Du côté Catalan, il s'agit de Aigues Ter Llobregat (ATLL), et du côté français, de la compagnie du Bas Rhône et Languedoc (BRL). ATLL redoutait un déficit d'eau durant les mois de saison sèche, même si, selon Michel Drain, son grand problème est la qualité de l'eau. La solution passait par transvaser l'eau du Rhône, à plus de 300 kms de distance. On estimait que l'eau serait moins chère, puisque les ouvrages obtiendraient l'aide de l'Europe, en couvrant jusqu'à 60% du coût.

L'entreprise française fut créée en 1955. Le gouvernement français lui concéda pour une période de 85 ans un droit d'eau de 75 m3/s (le débit de la Seine à Paris en été) pour irriguer la région du Languedoc. Mais la BRL utilise seulment 15% de ce total. A la fin des années 90, l'entreprise entra en crise et se transforma en holding, dont la filiale la plus importante est la SAUR, avec 49% du capital. SAUR dépend du groupe Buyguesn (Bouygues), une des plus grandes sociétés mondiales de construction. Selon M. Drain, "le premier bétonneur d'Europe". Aussi bien que pour ATLL et BRL, le transfert d'eau serait une opération redondante.


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